"Ces premières expériences acoustiques, au moyen de la voix seule, ont conduit les hommes à délimiter des espaces propices à la propagation du son, selon qu’il se heurte plus ou moins à un obstacle - paroi, pierre, abaissement d’une voûte ou au contraire élévation grâce à des verticalités canalisant le son en hauteur - et à reproduire ces conformités dans leurs constructions, si anciennes soient-elles. Il est des architectures célèbres pour leur remarquable acoustique, que ce soient des théâtres grecs ou romains, des cercles de pierre celtiques ou des édifices comme le temple du Ciel à Pékin, où le moindre murmure proféré au centre de l’aire se perçoit de la périphérie, et inversement. Ces lieux rendent compte d’une science architecturale entièrement vouée au son.
Mais le plus bel espace clos jamais édifié en vue de sa résonance demeure sans doute la cathédrale, espace religieux par excellence, de réunion et de communion des membres d’une même communauté, rassemblés en ce lieu sacré où l’architecture obéit à la loi de nombres d’or pour retentir, joyau de pierre animé par les voix des fidèles.
Là, la voix, en certains endroits du choeur en particulier, s’élève en volutes au plus haut des voûtes et y reste suspendue, planant vers les cimes que le corps et la matière ne peuvent atteindre, dans un éther divin. L’envolée des colonnes et des ogives semble conçue en fonction de la montée des voix, lancées au plus haut et maintenues entre ces parois de pierre dont l’édification même défie la pesanteur. A l’extérieur, les flèches de la cathédrale visent les nuages, comme les voix dont les résonances font vibrer ce joyau dont la hauteur contrarie l’horizontalité terrestre."
Lucie Rault, Instruments de musique du monde
Editions Lamartinière
chapitre "Et la musique prit sa source dans le corps", section "A capella"